Se savoir autre, admettre les différences, ne prétendre ni imposer sa façon d'être, ni copier celle des autres, c'est une sagesse à laquelle il est devenu audacieux d'aspirer.
A raisonner dans l'abstrait, on laisse de côté les motivations profondes qui ont assuré les réussites de la révolution chinoise. Le système maoïste excelle à puiser son énergie dans les stimulants collectifs. Vouloir appliquer à d'autres sociétés les mêmes règles - ou encore retenir ce qui est séduisant et écarter ce qui est choquant dans le modèle chinois -, c'est transplanter un arbuste sans son terreau, et même sans ses racines.
Ceux qui aspirent au modèle chinois pour être délivrés de l'injustice et de l'angoisse, doivent savoir qu'ils ne se sauveront pas en appliquant des recettes importées. Le modèle chinois ne résout pas les difficultés des Chinois à leur place. Il n'a de vertu pour eux, que parce qu'ils en font une création continue et une exigence intérieure. Comme dirait la Supérieure des Carmélites de Bernanos: "ce n'est pas la règle qui nous garde, c'est nous qui gardons la règle".
A ces réserves près, la révolution chinoise constitue l'expérience la plus extraordinaire, à coup sûr, du temps présent, - peut-être même de tous les temps -, et la plus passionnante à observer. En sciences humaines, il est à peu près impossible de se livrer à des expériences de laboratoire: le laboratoire humain qu'est la Chine offre un champ inépuisable à investigation.
Au-delà de la Révolution culturelle et des réactions stupéfaites qu'elle a suscitées, au-delà des rencontres diplomatiques spectaculaires, au-delà des affrontements pour la conquête du pouvoir, la Chine est le pays qui s'est engagé dans l'aventure révolutionnaire la plus radicale qu'aucune société humaine ait jamais connue. Des transformations qui nous paraîtraient incroyables, là-bas deviennent possibles.
"J'ai pour la Chine une grande reconnaissance, disait Pierre Teilhard de Chardin; par son immensité, par l'énormité de ses dimensions, elle a contribué à élargir ma pensée, à l'élever jusqu'à l'échelle planétaire". Peut-être aurait-il ajouté, s'il avait eu le loisir d'y retourner de nos jours: "par sa volonté passionnée de créer un univers plus juste et de changer l'homme même; par le courage avec lequel elle supporte des sacrifices qui nous sembleraient intolérables; par l'interpellation qu'elle nous adresse."
Alain Peyreffite, "Quand la Chine s'éveillera", Fayard, 1973, pp. 442 & 443.