Il y avait au Xiangxi un taoïste de la Secte du Lotus Blanc; son nom est tombé dans l'oubli. Sans doute était-ce un disciple de Siu Hongju. Il abusait les gens par ses maléfices, mais, de ceux qui admiraient son art, beaucoup s'étaient mis à son école.Un jour, sur le point de partir en voyage, il installa dans sa grande salle une cuvette qu'il recouvrit par une autre. Puis il recommanda à un de ses disciples d'en assurer la garde sans rien soulever pour regarder. Cependant, après son départ, le disciple souleva la cuvette du dessus et vit que celle du dessous était remplie d'une eau claire sur laquelle flottait une petite barque de paille tressée, avec sa voile et son mât. Plein de curiosité, il s'amusa à la toucher avec le doigt, mais la main la renversa. Alors, il se hâta de la relever et de recouvrir la cuvette.Le maître revint et, fort irrité, reprocha au disciple de lui avoir désobéi; mais lorsque celui-ci se dressa pour se défendre, il s'écria:- Mon bateau a chaviré en pleine mer: comment penses-tu pouvoir me tromper!
Toshihiko Izutsu, "Le koân zen", Fayard, Paris, 1978
Maître Chü Chih, un maître célèbre du IXe siècle, avait l'habitude de lever un doigt pour toute réponse, chaque fois qu'on lui posait une question sur le Zen. Il avait aussi un jeune disciple, un apprenti, qui suivait le maître et le servait en permanence. Ayant observé ce comportement du maître, le garçon commença lui-même à lever un doigt chaque fois qu'en l'absence du maître, on lui posait des questions sur le Zen. Au début, le maître ne s'en aperçut pas et les choses allèrent leur train. Mais le moment fatal arriva où il apprit ce que le garçon faisait derrière son dos. Un jour, ayant dissimulé un couteau dans sa manche, il convoqua le garçon et lui dit:
- J'apprends que tu as compris l'essence du bouddhisme. Est-ce vrai?
- C'est exact, répondit le garçon.
Le maître lui demanda alors:
- Qu'est-ce que le Bouddha ?
En guise de réponse, le garçon leva un doigt. Chü Chih l'attrapa et lui trancha le doigt. Comme l'enfant s'enfuyait en hurlant de douleur, le maître le rappela et sa question fusa tel un éclair:
- Qu'est-ce que le Bouddha ?
...obéissant à une sorte de réflexe, le garçon voulut lever le doigt absent et il atteignit sur le champ l'illumination...
(*) écriture chinoise, du mandarin "hànzì" (traditionnel 漢字, simplifié 汉字) soit: "écriture des Han", du nom de l'ethnie majoritaire.
Un moine demanda à Tchao-Tchéou :
- Quel est le sens de la venue du premier Patriarche en Chine ?
- Le cyprès dans la cour d'entrée.
T’ieh Tsoui Kiao était un disciple de Tchao-Tchéou. Lorsqu'il alla voir Fa-ièn Ouen-i, un autre grand Maître du Chan (Zen), celui-ci lui demanda quel était son dernier domicile. T’ieh-Tsoui répondit qu'il venait de vivre auprès de Tchao-Tchéou. Fa-ièn lui dit alors:
- J'ai entendu dire une fois qu'un cyprès fut le sujet de son sermon, en fut-il réellement ainsi?
T'ieh-Tsoui fut catégorique :
- Il n'a jamais parlé de pareil sujet.
Fa-ièn protesta :
- Tous les moines qui sont venus ces derniers temps de l'entourage de Tchao-Tchéou relatent qu'il a parlé d'un cyprès en réponse à cette question d'un moine : "Quel est le sens de la venue du premier Patriarche en Chine ?". Comment pouvez-vous dire que Tchao-Tchéou ne fit jamais une telle allusion à un cyprès ?
Sur quoi T'ieh-tsoui se mit à rugir :
- Mon défunt Maître n’a jamais parlé ainsi. Je vous serais obligé de ne pas faire la moindre allusion à cela.
Soueï-Lo, tout en arrangeant les glycines, demanda a son maître Ma-Tseu:
- Quel est le sens de la venue du premier Patriarche en Chine ?
Ma-Tseu répondit:
- Venez un peu plus près, et je vous le dirai.
Dès que Soueï-Lao se fut approché, le maître lui donna un coup de pied qui l'envoya à terre. Mais cette chute ouvrit soudain son esprit à un état de satori, car il se releva en riant de bon coeur, comme si un événement tout à fait inattendu et très désiré se fût produit.
Le maître demanda :
- Quel est le sens de tout ceci ?
Lao s'écria :
- Innombrables, certes, sont les vérités enseignées par les Bouddhas, et toutes, telles qu'elles sont à leurs sources mêmes, je les perçois maintenant dans l'extrémité d'un cheveu.
Un moine vint un jour de chez Oueï-Chan auprès de Siang-Ièn, qui lui demanda:
- Il y avait une fois un moine qui interrogea Oueï-chan sur le dessein qu'avait le Patriarche en venant en Chine, et Oueï-Chan, en réponse, brandit son hossou (bâton) ; comment donc entendez-vous le sens de ce geste ?
Le moine répondit:
- L'idée du maître est d'éclairer l'esprit en éclairant la matière, de révéler la réalité par le moyen d'une réalité objective.
- Votre compréhension, dit le maître, est correcte dans ses limites; mais à quoi bon se hâter ainsi de théoriser ?
Le moine, changeant ses positions, demanda:
- Et vous, comment comprenez-vous?
Siang-Ièn brandit son hossou comme avait fait l'autre maître.
Une autre fois qu'on l'interrogeait sur le sens de la venue en Chine de Bodhidharma, Siang-Ièn mit sa main dans sa poche, l'en retira en tenant le poing fermé, et l'ouvrit comme pour en donner le contenu au questionneur. Celui-ci s'agenouilla et étendit les deux mains dans le geste de recevoir.
- Qu'est-ce que c'est ? dit le maître.
Le moine ne répondit rien.
Lorsque T'eou-Tseu Ta-T'oung rencontra le maître T'soueï-Oueï dans la Salle du Dharma, il interrogea le maître sur le sens de la venue de l'Inde du Patriarche. T'soueï-Oueï resta un moment à regarder derrière lui. Comme Ta-T'oung désirait un enseignement explicite, le maître dit:
- Voulez-vous recevoir encore une pelletée de boue sur la tête ?
Cela voulait dire que le questionneur avait été déjà auparavant plongé dans la boue et qu'il n'en savait rien.
à l'écart des sirènes médiatiques